TRANSLATE THIS SITE

HOME  •  ARTICLES  •  RESOURCES  •  NEWS  •  LINKS  •  SUBSCRIBE  •  ABOUT HAZARDS

PO BOX 199   SHEFFIELD   S1 4YL   ENGLAND         WWW.HAZARDS.ORG       






[*] Luc Demaret est rédacteur en chef d'Education ouvrière la revue trimestrielle publiée par le Bureau des activités pour les travailleurs de l'OIT. Le Docteur Ahmed Khalef est spécialiste de médecine du travail, de toxicologie médicale et industrielle, d'ergonomie pratique et de sociologie et sciences humaines appliquées au travail. Il est le point focal pour la santé et la sécurité au travail du Bureau des activités pour les travailleurs et est également responsable du suivi de la région arabe.

Back to Workers' Memorial Day home

 

28 avril : Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail



Deux millions de morts au travail par an: une hécatombe que l'on pourrait éviter, estime l'OIT

Un décès toutes les quinze secondes. Six mille par jour. Le travail tue plus que les guerres. Il blesse et mutile aussi. Près de 270 millions d'accidents sont enregistrés chaque année dont 350,000 sont mortels. Beaucoup de ces drames pourraient être évités, estime l'Organisation internationale du Travail. Pourtant, vingt ans après la catastrophe de Bhopal qui a fait en l'espace de quelques heures 2 500 morts et 200 000 blessés, la situation s'est à peine améliorée. Par Luc Demaret et Ahmed Khalef

 
Kemerevo, Sibérie, 10 avril 2004: explosion mortelle dans une mine, au moins quarante-quatre mineurs tués. Commentaire: l'industrie minière russe est en mauvais état faute d'entretien, les accidents y sont fréquents. Jieyan, Chine, 9 avril 2004: douze ouvriers trouvent la mort et trois sont blessés par électrocution sur un chantier après avoir été en contact avec un câble d'une tension de 10 000 volts. Commentaire: de janvier à octobre 2003, 13 283 accidents du travail mortels ont été recensés dans l'industrie et les mines chinoises, une augmentation de 9,6 pour cent par rapport à l'année précédente. La hausse est particulièrement forte dans la construction. Dublin, Irlande, 13 avril 2004, une étude révèle que le stress affecte des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses. Quatre millions de journées de travail ont été perdues en 2003 pour un coût total de plus de 170 millions de livres (300 millions de dollars, 250 millions d'euros).

Prague, 14 avril, selon le président d'un syndicat, un quart des accidents, y compris les accidents du travail mortels, ont lieu dans le secteur… de la santé! En février, à Phnom Penh, plusieurs dizaines de travailleuses d'une usine textile s'évanouissent devant leur machine. Le local était mal aéré et l'entreprise utilisait sans contrôle un produit hautement toxique, le trichloréthylène. Commentaire: la journée des travailleurs de l'usine dépassait régulièrement de deux heures l'horaire autorisé. Les usines sont construites sans tenir compte des risques pour la santé. Deux autres usines ont refusé l'accès aux inspecteurs du travail.
 
Janvier 2004, explosion au complexe de gaz naturel liquéfié de Skikda en Algérie, 27 travailleurs sont tués. Le deuxième plus important port pétrolier d'Algérie n'est donc pas à l'abri d'accidents majeurs. Décembre 2003, explosion d'une mine en Chine: 200 morts. Novembre 2003, effondrement de l'escalier menant au paquebot Queen Mary 2, alors en construction à Saint-Nazaire, en France: 10 morts. Alors que s'achèvent les travaux du site des Jeux Olympiques de 2004 à Athènes, l'on dénombre déjà pas moins de 154 accidents du travail. Douze ouvriers du bâtiment ont perdu la vie sur les chantiers. En octobre dernier 600 ouvriers du village olympique observaient une grève pour protester contre les mauvaises conditions sur les chantiers.

Le travail blesse, mutile, rend malade et, encore trop souvent, tue. Pas par fatalité, mais par négligence. Pas du fait de l'absence de normes, mais à cause de leurs violations. Pas à cause de la pauvreté, mais à cause du manque de prévention. Encore trop souvent la vie des travailleurs et travailleuses est mise gratuitement en danger. L'environnement est aussi menacé. Rappelons-nous Seveso où le 10 juillet 1976, un nuage de dioxine s'échappe d'un réacteur d'une usine chimique et se répand sur la plaine lombarde (Italie). Si aucune personne n'est décédée beaucoup garderont des séquelles. Sur le plan écologique la catastrophe est encore plus tangible: outre le 3 300 animaux domestiques morts intoxiqués, il faut abattre près de 70 000 têtes de bétail. Par ailleurs les sols agricoles et les maisons nécessiteront de lourds travaux de décontamination.

Six mille morts par jour

L'Organisation internationale du Travail, une agence tripartite (gouvernements, employeurs, syndicats) des Nations Unies, estime que chaque année plus de deux millions deux cent mille personnes trouvent la mort au travail,750 000 femmes et 1 500 000 hommes. L'écart entre le nombre d'hommes et de femmes s'explique en grande partie par la répartition des deux sexes dans les emplois dangereux. Par ailleurs, note l'OIT, le nombre important de femmes dans l'agriculture dans les pays en développement les rend particulièrement vulnérables aux maladies contagieuses liées au travail. Les experts de l'Organisation disent que de toute manière les statistiques sont bien en deçà de la réalité, notant la carence d'information et de rapports dans bien des pays. En tout cas, six mille morts par jour, un mort toutes les quinze secondes, c'est plus que les ravages causés par les guerres chaque année.

Parmi ces décès, près de 350 000 ont lieu au cours d'accidents du travail. Les autres sont causés par des maladies liées au travail. Ainsi, plus de 400 000 morts sont causées par l'exposition à des substances chimiques elle-même responsable de 35 millions des 160 millions de cas de maladies professionnelles enregistrés dans le monde. Tous les ans, un millier de nouvelles substances chimiques font leur apparition et l'on en utilise chaque jour plus de cent mille. Beaucoup d'entre elles, si elles ne sont pas manipulées correctement, présentent des risques. Plus de trois cent mille cancers par an sont dus à des substances dangereuses.

Les responsables de l'OIT rappellent que, pour eux, "bien que le risque zéro n'existe pas les accidents du travail ne doivent pas être considérés comme une fatalité, ils ne se produisent pas, ils sont causés". Et les causes peuvent être multiples, mais convergent toutes vers la négligence: celle des employeurs peu scrupuleux qui rechignent à consacrer des ressources à la sécurité, au nom du profit ; celle des gouvernements qui rechignent à ratifier des Conventions internationales et n'accordent que trop peu de moyens à leurs inspecteurs du travail pour faire respecter celles qu'ils ont ratifiées ; celle, parfois, des travailleurs eux-mêmes, le plus souvent par manque de formation et d'information.

La santé et la sécurité sur le lieu de travail est de la responsabilité exclusive de l'employeur. Certains l'assument et en font de plus en plus un avantage comparatif dans leurs campagnes de publicité. D'autres semblent privilégier le profit à court terme au détriment de la prévention.

Comment expliquer autrement que des millions de travailleurs sont encore aujourd'hui exposés à l'amiante alors que l'on sait que la fibre tue chaque année plus de 100 000 personnes? Négligence de certains employeurs et gouvernements qui s'obstinent à utiliser ce produit (dont certains continuent même à vanter les mérites). Négligence aussi des gouvernements qui ne semblent guère pressés de ratifier et d'appliquer la Convention internationale adoptée par l'OIT en 1986 pour interdire certains types d'amiantes. A ce jour, cette convention n'a été ratifiée que par 27 pays sur les 177 Etats Membres de l'Organisation.

"L'amiante est déjà interdite dans environ 25 pays. Mais cela signifie que près de 150 autres continuent de l'utiliser" note Jukka Takala, responsable à l'OIT pour la sécurité et la santé au travail. "Bien que l'asbestose (certains disent amiantose) ne soit pas une maladie contagieuse, nous serions tentés de parler d'épidémie, notamment à propos du mésothéliome, une forme de cancer de la plèvre ou du péritoine, causées par l'amiante. Et n'oublions pas qu'une fois qu'un travailleur a été exposé à l'amiante, la maladie pourra parfois attendre vingt ans, voire même 35 ans, avant de se manifester", poursuit M. Takala.

Des milliers d'enfants sacrifiés

La négligence est aussi manifeste quand on sait que chaque année, 22 000 enfants, censés être à l'école, meurent au travail, en dépit d'une batterie de conventions internationales, de déclarations et de législation.
A l'initiative de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), le mouvement syndical a fait de la responsabilité des entreprises, l'un des thèmes de sa Journée internationale de Commémoration pour les morts et blessés au travail, le 28 avril. Une journée à laquelle l'OIT apporte son soutien en appelant ses mandants tripartites à observer une Journée mondiale pour la santé et la sécurité au travail.

"Nous voulons voir des peines plus sérieuses infligées aux employeurs qui violent les mesures de sécurité", demande la Fédération internationale des travailleurs du bois et du bâtiment, un secteur réputé pour les travaux dangereux et grand pourvoyeurs d'accidents de travail et de maladies professionnelles. La plupart des 300 victimes quotidiennes de l'amiante viennent de la construction.

"Nous travaillons pour vivre, mais le travail reste une source de mort" dénonce, quant à elle, l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation et de l'agriculture (UITA). Sur les 270 millions d'accidents de travail en registrés chaque année dans le monde, beaucoup ont lieu dans l'agriculture qui affiche la moitié des accidents mortels: 170,000 en 2003. Au point que gouvernements, employeurs et syndicats se sont entendus pour adopter en 2002, une nouvelle convention internationale sur la sécurité et la santé dans l'agriculture qui permettrait aux travailleurs de refuser des tâches mettant leur vie en danger.

Beaucoup de pays ont adopté des législations pour réprimer les négligences manifestes en matière de sécurité au travail. Mais les sanctions sont souvent dérisoires. "Si vous laissez la vie sauve aux entreprises peu respectueuses de la santé et de la sécurité, celles-ci montreront le mauvais exemple et d'autres pourraient être tentées de relâcher leurs propres efforts", note Jukka Takala.

Pourtant la santé et la sécurité des travailleurs est aussi une bonne chose pour l'entreprise. Rien qu'aux Etats-Unis, le coût des accidents de travail pour les entreprises se chiffre en dizaines de milliards de dollars: augmentation des primes d'assurances, prestation aux parents des victimes, remplacement et formation de la main-d'œuvre… A cela, il faut ajouter la pression des consommateurs toujours plus soucieux d'acheter "propre". Et tenir compte de l'amélioration de la productivité dans des lieux de travail où boulotter ne rime plus avec danger. "Aucune entreprise florissante ne peut enregistrer des taux de productivité satisfaisants si son niveau de sécurité laisse à désirer", précise Jukka Takala. La pression peut parfois servir d'encouragement. Lorsque Walmart, le géant de la distribution, a informé ses fournisseurs des pays asiatiques qu'ils devraient respecter des normes plus strictes en matière d'hygiène et de sécurité, ceux-ci ont répondu au quart de tour. "Même le plus modeste fournisseur thaïlandais s'est montré capable d'adapter sa production aux nouvelles normes", se souvient Jukka Takala.

Le coût de la négligence

La pauvreté n'est pas non plus une bonne excuse pour retarder l'application de normes de sécurité. En réalité, l'immobilisme est bien plus coûteux puisque les dépenses liées aux maladies professionnelles et aux accidents de travail (prestations d'invalidité et de survivants, traitements médicaux, journées d'absence etc.) pèsent l'équivalent de 4 pour cent de l'ensemble des PNB de tous les pays de la planète, soit plus de mille milliards de dollars. Un pactole vingt fois supérieur au montant total de l'aide publique en faveur des pays en développement. Il reste que les pays industrialisés ont leur part de responsabilités. "Les pays industrialisés ont quelque peu tendance à exporter leurs dangers dans les pays en développement. La main-d'œuvre y est non seulement meilleur marché mais elle est aussi nettement moins protégée. Les postes ingrats et difficiles sont laissés au pays du Sud et le travail dans les mines figure bien entendu parmi ceux-ci", note encore le spécialiste de l'OIT. Ainsi les maladies du mineur appelées communément pneumoconioses, dont la silicose, ont pratiquement disparu dans les pays industrialisés, mais continuent de faire chaque jour de nouvelles victimes dans le monde en développement. On estime, par exemple, aujourd'hui que 10 millions de travailleurs sont exposés à la silicose et que la poussière mortelle cause 5 000 décès par an. Au Vietnam elle est à l'origine de 90 pour cent des maladies professionnelles indemnisées. En Inde, près de deux millions de mineurs sont exposés. Ils sont 6 millions au Brésil et près de deux millions en Colombie. En Amérique latine, selon un rapport préparé par l'OIT pour la Journée du 28 avril, 37 pour cent des mineurs sont atteints de silicose et ce pourcentage s'élève à 50 pour cent chez les mineurs de plus de 50 ans.

Les statistiques montrent également que le fardeau social et économique des accidents et des maladies liés au travail n'est pas réparti de façon égale. Les taux de mortalité dans plusieurs régions du Moyen-Orient et d'Asie peuvent être quatre fois plus importants que dans les pays industrialisés.

De même, la couverture sociale pour la sécurité et la santé du travail enregistre de profonds écarts entre les différentes régions de la planète: les travailleurs des pays scandinaves jouissent d'une couverture quasi universelle, tandis que seuls 10 pour cent, voire moins, des lieux de travail de nombreux pays en développement sont susceptibles d'être concernés par l'une ou l'autre forme de couverture. Dans beaucoup de pays développés, la couverture contre les lésions et les maladies professionnelles peut ne s'appliquer qu'à la moitié de la main-d'œuvre.

Les armes de la prévention

L'OIT en est pourtant convaincue: bon nombre de catastrophes et de pratiques de travail quotidiennes et dangereuses peuvent être évitées. La prévention doit devenir une priorité et les normes de l'OIT peuvent y contribuer. Près de la moitié des 184 conventions adoptées par l'OIT ont un rapport avec des questions de santé et de sécurité.

La ratification de ces normes, c.-à-d. l'engagement formel d'un pays à les respecter, est inégale. Certaines (comme la convention (n° 81) sur l'inspection du travail, 130 ratifications) comptent sur de nombreuses ratifications, tandis que d'autres, comme la convention (n° 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs (42 ratifications), affichent des résultats moins encourageants.

Au-delà de ces normes, toutes les études confirment que l'existence d'un dialogue social au sein de l'entreprise contribue à la prévention. Là où les syndicats sont pleinement reconnus et où il existe un comité de sécurité et d'hygiène (paritaire direction/syndicat), la proportion des accidents graves peut baisser de moitié par rapport à celle que connaissent des entreprises où les syndicats ne sont pas reconnus et où il n'existe pas de comité paritaire.

Une autre étude a constaté dans un pays que près de 80 pour cent des lieux de travail syndiqués affichaient un degré élevé de respect de la législation en matière de sécurité et de santé, alors que seulement 54 à 61 pour cent des lieux de travail non syndiqués présentaient un respect semblable. L'action syndicale en faveur de la prévention a sans doute permis de sauver des millions de vies humaines, note un responsable de l'OIT. On ne s'étonnera pas que les syndicats de Bhopal avaient en 1984 lancé l'alerte sur l'imminence d'une catastrophe. Ils n'ont malheureusement pas été entendus. Car si la liberté syndicale est un élément essentiel du dispositif de prévention, elle aussi est encore trop souvent galvaudée. L'activité syndicale est elle-même dangereuse. Et le prix à payer pour améliorer les conditions de travail est parfois lourd. Deux cent syndicalistes ont été assassinés l'an dernier dans le monde.

Menacé de mort, Chea Vichea, un dirigeant syndical au Cambodge, n'a jamais cessé sa lutte qui a permis d'améliorer sensiblement les conditions de travail de quelque deux cent mille travailleuses de l'industrie de la confection du pays. Le 22 janvier 2004 à Phnom Penh il était lâchement abattu de trois balles tirées à bout portant.

"Travailler dans des conditions salubres ne relève pas uniquement d'une politique économique efficace, c'est aussi un droit humain fondamental" déclarait en 2002, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan. Un droit fondamental dont le respect universel exigera aussi un changement des mentalités.


HAZARDS MAGAZINE   •  WORKERS' HEALTH INTERNATIONAL NEWS