Hazards banner
       Hazards, nombre 145, 2019
Assez! La Confédération syndicale internationale veut en finir avec les produits chimiques dangereux
Les produits chimiques sont partout. L’industrie mondiale de la chimie devrait quadrupler d’ici à 2060. Or, l’exposition aux substances toxiques dangereuses sur le lieu de travail coûte déjà la vie à au moins un million de personnes chaque année. Sharan Burrow, la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI) explique pourquoi une nouvelle campagne syndicale est une étape indispensable pour mettre fin à cette hécatombe.

 

Des mercenaires. Des forces de l’ordre ineptes, lâches ou corrompues. Un voyou sans scrupules qui cherche les bénéfices à tout prix.



RÉACTION CHIMIQUE   La Confédération syndicale internationale confirme le thème qu’elle a retenu pour la Journée internationale de commémoration des travailleuses et des travailleurs, le 28 avril 2019: «Prendre le contrôle – éliminer les substances dangereuses du lieu de travail». Cette campagne, qui concerne la plus grande manifestation mondiale annuelle sur la santé et la sécurité, mettra un accent particulier sur le «zéro cancer», exhortant les acteurs à chercher comment éliminer ou minimiser l’exposition aux substances cancérogènes sur le lieu de travail. Le premier guide pratique de la CSI sur le cancer, qui donne un aperçu direct des cancers professionnels et de leurs causes, réalisé avec la revue Hazards, permettra aux syndicats de recenser et de prévenir les expositions potentiellement mortelles. La journée annuelle très suivie du 28 avril, qui a donné lieu à des dizaines de milliers d’activités dans plus de 70 pays en 2018, fait partie des «sujets tendances» sur Twitter depuis plusieurs années. Sur Internet: www.28april.org; #iwmd19.

Ce n’est pas un western de série B. C’est l’industrie mondiale de la chimie, un géant en fuite qui se comporte parfois comme s’il était au-dessus des lois, avec des conséquences mortelles.

Il réussit toujours à s’en sortir parce qu’il recourt à des pratiques illégales ou immorales pour dissimuler les éléments qui prouvent que ses produits sont dangereux pour la santé. Les produits chimiques sont tellement essentiels pour l’industrie qu’elle peut utiliser son influence pour perturber, retarder et faire échouer les efforts déployés pour remplacer les produits toxiques par des alternatives qui ne tuent pas ou ne provoquent pas de maladies.

Que ses complices soient des législateurs ou des laboratoires, l’industrie chimique peut payer – et c’est d’ailleurs ce qu’elle fait – afin d’obtenir un bilan de santé irréprochable, et indu, pour certains de ses meilleurs agents.

Et l’industrie ne se contente pas de fausser la donne. Elle utilise des tactiques de caniveau pour discréditer et harceler ses opposants.

Des coups tordus

Si vous trouvez l’histoire un peu fantaisiste, voire un peu paranoïaque, lisez bien ce qui s’est passé au cours de ces derniers mois.

En novembre 2018, l’entreprise K2 Intelligence a dû verser des dommages-intérêts considérables à cinq militants anti-amiante bien connus sur trois continents.

Le versement a été discrètement effectué après la révélation d’éléments prouvant qu’une grande société de conseil américaine spécialisée dans la surveillance des entreprises avait orchestré une opération secrète sur quatre ans pour anéantir toute action visant à interdire le tueur le plus efficace de la planète sur les lieux de travail.

Cette opération d’espionnage sophistiquée a été financée par les intérêts internationaux de l’amiante. Ces partisans d’une industrie moribonde, encore puissants, ont toujours leur propre liste de scientifiques dociles qui produisent de l’amiante au mépris des études sur la santé et des observations des témoins experts.

Toujours en novembre 2018, un rapport du Parlement européen a conclu que les autorités de réglementation européennes avaient décidé, en 2017, de renouveler l’autorisation du glyphosate, un désherbant probablement cancérogène, en s’appuyant sur une évaluation dont d’importantes parties étaient directement extraites de documents de l’industrie agrochimique.

Ce rapport faisait suite à un article publié en septembre 2018 par la revue scientifique Critical Reviews in Toxicology, qui reconnaissait que le géant de l’agrochimie Monsanto avait caché son importante participation à une publication dans laquelle le Roundup, l’herbicide à base de glyphosate le plus vendu dans le monde, était présenté comme un produit sans danger.

GLYPHOSATE  La campagne visant à empêcher le renouvellement de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne a échoué, mais «elle a réussi avec brio à révéler l’emprise de l’industrie agrochimique sur les agences de réglementation chargées de protéger la santé publique et l’environnement», précise l’UITA, le syndicat mondial de l’alimentation et de l’agriculture. plus

Un document de janvier 2019 paru dans la revue Environmental Sciences Europe indique que 70% des études indépendantes évaluées par des pairs sur le glyphosate, qui ont aussi été examinées par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé, font état de la génotoxicité de ce produit, c’est-à-dire une altération de l’ADN, un indicateur essential du risque de cancer chez l’être humain.

En revanche, seulement 1% des études généralement non publiées réalisées par l’industrie chimique établit ce lien.

En décembre 2018, un rapport du magazine Hazards sur l’exposition aux gaz d’échappement de diesel cancérogènes sur le lieu de travail annonce qu’il a été demandé aux groupes financés par l’industrie pétrochimique et minière de publier des rapports ostensiblement indépendants pour jeter le doute dans l’esprit des autorités de réglementation, en invoquant des contrôles et des avertissements plus stricts – un processus que la conclusion qualifie de «permanent».

C’est également en 2018 que Samsung, après avoir dissimulé pendant dix ans la vérité sur le nombre considérable de décès imputables à l’utilisation de substances toxiques sur ses chaînes de production, a finalement présenté des excuses et accepté de verser une indemnisation aux employés atteints de maladies professionnelles.



Une stratégie subversive

C’est une stratégie de l’industrie qui a réussi à freiner la mise en place de normes plus rigoureuses sur l’exposition chimique.

Même lorsque des améliorations existent, elles sont différées et vidées de leur substance pendant le processus d’élaboration des normes.

Cet exercice consistant à rejeter les doutes et à temporiser a également été utilisé pour le benzène, la silice, le chrome, le béryllium et toute une série d’autres produits chimiques à l’origine de graves maladies professionnelles, dont le cancer.
Cette question trouble est d’autant plus préoccupante que les preuves accessibles aux autorités de réglementation sont de plus en plus déformées, à l’avantage de l’industrie.

Un document paru en août 2018 dans la revue Occupational and Environmental Medicine précise que le nombre d’études sur les cancers professionnels affiche une «forte baisse». Les auteurs font remarquer que les plus grands perdants seraient inévitablement les travailleurs/euses des «pays à revenu faible et intermédiaire, où les niveaux d’exposition sont généralement les plus élevés».

Or, même un faible niveau d’exposition dans des pays bien réglementés peut impliquer des risques importants, avec une production incessante de publications scientifiques financées en toute discrétion, qui contestent les preuves de risque au-dessous des normes actuelles d’exposition professionnelle généralement laxistes, et l’existence des différents types de cancers et des maladies chroniques qui en découlent.

La résurgence de maladies professionnelles «anciennes» telles que la silicose et la pneumoconiose des mineurs – une grave maladie pulmonaire qui frappe désormais plus rapidement et plus brutalement les mineurs de charbon américains et australiens – suggère que l’évolution de la maladie, même dans les pays les plus riches, s’est peut-être hélas inversée.

Le prix des produits chimiques

Il s’agit d’une crise de la santé et de la surveillance qui nécessite une action immédiate. L’industrie chimique devrait doubler d’ici à 2030 en termes de volume, comme le souligne le dossier politique Global Chemicals Outlook de janvier 2019, publié par le directeur exécutif du PNUE, qui affirme que ce phénomène «augmentera les expositions, les concentrations et les effets négatifs sur la santé et l’environnement» si nous continuons de ne pas agir contre la mauvaise gestion des produits chimiques et des déchets sur l’ensemble de la planète.

Notant que le «statu quo n’est pas envisageable», le document des Nations Unies alerte sur le fait que de nombreux produits chimiques industriels «ont encore une importante incidence négative sur la santé humaine et sur l’environnement parce qu’ils ne sont pas correctement gérés». Le rapport ajoute qu’il est «indispensable que toutes les parties prenantes entreprennent une action plus ambitieuse, urgente et d’ampleur mondiale».

Il le faudra en effet, si l’intention est de lutter contre la croissance désordonnée de l’industrie. En janvier 2019, un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) constate que «l’industrie chimique est l’un des plus grands secteurs industriels du monde et devrait quadrupler d’ici à 2060».

’OCDE estime que les ventes annuelles mondiales de l’industrie chimique passeront de 5.700 milliards de dollars en 2017 à 21.700 milliards  de dollars en 2060.

Le poids financier mondial de l'industrie chimique dépasse déjà celui de toutes les nations, à l'exception des Etats-Unis et de la Chine, selon les données basées sur le PIB.

C’est un secteur riche, mais avec un bilan catastrophique en matière de santé. Même aux niveaux de production actuels, plus d’un million de personnes meurent chaque année en raison d’une exposition aux substances dangereuses au travail. D’après les estimations de l’Organisation internationale du travail, les cancers professionnels coûtent chaque année la vie à 666.000 personnes.

Un problème bien plus grave

Les longues périodes de latence entre l’exposition au risque et l’apparition de ces maladies professionnelles indiquent qu’une grande partie des décès actuels résultent d’une exposition aux substances chimiques remontant à plusieurs décennies – et qui était nettement plus faible qu’aujourd’hui.

Cependant, nous continuons d’utiliser toujours plus de produits chimiques, en plus fortes quantités, sous un plus grand nombre de formes et avec davantage de combinaisons, et l’industrie concentre toute son attention sur les applications de la chimie et non sur les risques.

Un rapport sur l’évaluation des produits chimiques publié le 28 février 2019 par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) révèle que sur 21 évaluations de substances chimiques réalisées en 2018, seulement six substances (soit 28,5%) sont «suffisamment contrôlées», alors que les autres nécessitent «des mesures supplémentaires concernant la gestion du risque».

Les entreprises chimiques n’ont fourni aucune information importante sur la sécurité par rapport aux effets potentiellement dangereux de leurs produits sur la santé, dans pratiquement trois quarts des cas (211 sur 286) vérifiés par les autorités en 2018.

Il s’agit d’un véritable mépris pour la santé, qui génère un coût économique et humain – un coût qui retombe d’ailleurs en grande partie sur les travailleurs/euses malades et les caisses de l’État.

Un rapport de l’Institut syndical européen (ETUI) de décembre 2018 calcule que les cancers liés au travail coûtent entre 270 et 610 milliards d’euros (entre 307 milliards de dollars/240 milliards de livres et 693 milliards de dollars/543 milliards de livres) par an dans l’ensemble de l’UE.

Quant au coût humain, l’exposition à des lieux de travail dangereux provoque la mort d’un travailleur/euse toutes les 30 secondes.

C’est d’autant plus déplorable qu’il est possible d’éviter cela. D’après une estimation mondiale de 2017 sur l’étendue des maladies professionnelles, notamment en ce qui concerne les cancers professionnels, «quasiment tous ces cancers peuvent être évités en éliminant l’exposition aux agents cancérogènes et en réduisant autant que possible l’exposition à ces produits au niveau des emplois, de l’environnement professionnel et des procédures de travail».

Ces mesures ne sont pas mises en place, parce que l’industrie de la chimie exerce son emprise sur les autorités de réglementation, parce qu’elle corrompt les scientifiques complaisants et attaque ses détracteurs.

C’est une dynamique mortifère à laquelle il faut absolument mettre un terme.

 

 


 

Il est nécessaire de «réglementer les autorités de réglementation», déclare l’UITA.


La campagne visant à empêcher le renouvellement de l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne a échoué, mais «elle a réussi avec brio à révéler l’emprise de l’industrie agrochimique sur les agences de réglementation chargées de protéger la santé publique et l’environnement», précise l’UITA, le syndicat mondial de l’alimentation et de l’agriculture.

En février 2019, un article de l'UITA note: «Suite aux révélations contenues dans les Monsanto Papers et à des campagnes efficaces relayant l’indignation du grand public concernant le renouvellement, en dépit du bons sens, par les États membres de l’UE de l’autorisation de cet herbicide le plus utilisé au monde, le Parlement européen a mis en place la commission spéciale PEST chargée de réévaluer les procédures d’autorisation des pesticides dans l’Union européenne».

En outre, le rapport de la commission PEST, «publié en décembre 2018 et adopté à une majorité écrasante, tous partis confondus, par les eurodéputé(e)s le 16 janvier, pointe du doigt les multiples défaillances des procédures d’autorisation».

Une enquête commandée par une coalition de groupes d’eurodéputés révèle que l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) a repris des pans entiers, copiés-collés, d’un document fourni par Monsanto. L’enquête indique que l’étude sur laquelle s’est basée l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour donner son aval au renouvellement de l’autorisation du glyphosate «prouve clairement que BfR, sous le couvert d’une évaluation indépendante, n’a fait que retranscrire l’évaluation des requérants de l’industrie». D’après l’enquête des eurodéputés, le texte de Monsanto apparaît dans 50,1% des chapitres consacrés aux études publiées sur les risques de santé – comprenant des paragraphes et des pages recopiés intégralement.

L’article de l’UITA suggère que les répercussions du scandale encore perceptibles ont eu un effet positif, étant donné que le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à un accord, le 11 février 2019, en faveur de procédures plus rigoureuses sur l’évaluation des risques. «Ces nouvelles procédures, dans la mesure où elles seront appliquées, constitueront une victoire importante, quoique partielle et liminaire, de la campagne pour l’interdiction du glyphosate. Elles restent en-deçà des recommandations de la Commission PEST (et des demandes de l’initiative citoyenne européenne sur les pesticides), mais pourraient néanmoins être un moyen de desserrer l’emprise du lobby des pesticides sur les agences nationales et européennes de réglementation».

L’article conclut: «Une fenêtre a été ouverte, que le lobby agrochimique s’empressera de chercher à refermer. Il est aujourd’hui temps d’intensifier la mobilisation, sur une base la plus large possible, aux plans national, européen et international pour obtenir l’interdiction immédiate des produits agrochimiques les plus toxiques, des réductions ciblées de l’utilisation des pesticides et des mesures globales de soutien à une transition vers une agriculture durable du point de vue social et environnemental».

Haut de la page

 




 

 


 

Assez!

Les produits chimiques sont partout. L’industrie mondiale de la chimie devrait quadrupler d’ici à 2060. Or, l’exposition aux substances toxiques dangereuses sur le lieu de travail coûte déjà la vie à au moins un million de personnes chaque année. Sharan Burrow, la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI) explique pourquoi une nouvelle campagne syndicale est une étape indispensable pour mettre fin à cette hécatombe.

Contenu
Introduction
Des coups tordus
Une stratégie subversive
Le prix des produits chimiques
Un problème bien plus grave

Article connexe
Il est nécessaire de «réglementer les autorités de réglementation», déclare l’UITA.

Hazards webpages
Cancer
Chemicals
28 April